Divisadero

Publié le par L'Ombre

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Il est extrêmement difficile d’entrer dans un livre sans aucun repère ; de ne pas avoir la moindre idée de la place à accorder à son auteur, de sa situation hiérarchique sans la constellation de la littérature. J’ai expérimenté cette situation avec Divisadero, de Michael Ondaatje, dont je ne savais rien sinon que le film Le Patient anglais était tiré d’un de ses livres — film que je n’ai évidemment pas vu, ce qui ne m’empêche pas de le considérer comme un navet, fondant ma perception sur la façon dont il entre en corrélation avec les goûts de certaines personnes. Mais un article tiré de je ne sais quel supplément littéraire décrivant ce roman comme un chef-d’œuvre expérimental, je me décidai à en faire l’acquisition. L’objet lui-même était assez imposant ; pas par sa taille, mais par la qualité du papier utilisé, le caractère rustique des cahiers non rognés, tout le travail éditorial destiné à inscrire ce livre dans la catégorie « texte sérieux qui restera dans l’histoire littéraire ».
La petite préface attribuée à l’un des personnages joue le même rôle, et a immédiatement sur mes nerfs un effet hérissant.

When I come to lie in your arms, you sometimes ask me in which historical moment do I wish to exist. And I will say Paris, the week Colette died…
[Quand je viens me coucher dans tes bras, tu me demandes parfois dans quelle période de l’histoire j’aimerais vivre. Et je réponds Paris, la semaine de la mort de Colette…]
Argh. Puke bucket. Cela commence mal. Et la citation de Nietzsche, interprétée comme seule une collégienne saurait le faire, n’arrange rien à l’affaire quelques lignes plus bas. Je me débats au début de ce livre pour avancer dans ma lecture, et ne pas être obligé de le revendre avant de l’avoir fini comme cela s’est produit avec l’inénarrable Beloved de Toni Morrison. Ondaatje semble dérouler tous les stéréotypes possibles pour tenter de trouver un point de contact avec son lecteur, un lien mémoriel lui faisant croire que c’est son histoire qu’il lit ici. On voit défiler les veillées sur les toits sous les étoiles filantes, l’enfant sauvé d’un massacre en se cachant sous le plancher d’où il a assisté au meurtre de ses parents, deux sœurs se séparant mais vivant toujours mystérieusement des vies jumelles…
Vient ensuite ce qui justifie l’appellation de « roman expérimental » : une ellipse qui fait continuer la narration quelques années après un drame familial que je n’ai pas le courage de résumer, et permet à Ondaatje de changer de registre. Histoires de poker convenues avec l’un, suffisamment entraînantes pour éviter l’ennui, villégiature dans le midi de la France avec l’autre. Ici, les choses deviennent quasiment insupportables : l’héroïne qui s’éprend d’un bel enfant du voyage mystérieux, la cuisine sensuelle, la poésie des gypsie kings… Après avoir relevé la tête du seau une seconde fois, je continue coûte que coûte. On nous assomme avec l’histoire d’un romancier français imaginaire du début du XXe siècle, et le tout s’achève sur une réflexion d’une naïveté confondante sur les relations entre l’art et la vie, Lucien Segura, l’auteur en question, transposant maladroitement son existence dans des romans de cape et d’épée. Je n’invente rien.
Mon impression finale ? Ondaatje pourrait parfois rappeler Paul Auster : même genre de thématiques, mêmes qualités de narrateur. Mais là où Paul Auster dépasse l’anecdote en mettant en place des boucles inattendues dans ses histoires, les transformant en prodigieux mécanismes de motivation du hasard, Ondaatje ressemelle laborieusement et s’embourbe dans le lieu commun. Tout cela sent l’huile, et je n’aime pas avoir les doigts graisseux.
 

Publié dans Lus

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A
Cela m'arrive aussi de temps en temps... avec le livre de Gamboa Le sydrome d'Ulysse par exemple. La lecture était agréable, malgré des clichés et des moments vraiment laborieux, ma ça ne c'était pas trop mal passé. C'est au moment d'écrire la note sur ce livre que j'en ai perçu tous les "défauts".<br /> <br /> Le roman que tu viens de lire doit sortir en français à la rentrée.
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M
Et donc t'as pas aimé ?
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L
On peut dire ça comme ça... Mon sentiment était moins négatif au cours de la lecture, et je me suis un peu étonné moi-même en écrivant ma recension, mais dans l'ensemble, malgré les qualités évidentes de conteur, c'est beuhhhhhh.