Une remarque en passant
J'ajoute une pensée nocturne sur Harry Potter et son succès planétaire. Des commentateurs clament que la lecture retrouve ici ses droits de noblesse, et que les foules qui tournent précipitamment les centaines de pages de ses volumineuses aventures iront se jeter tout droit ensuite sur les grands classiques et la littérature exigeante. Deux idées se cachent derrière cette affirmation. Celle, d’abord, que l’épaisseur d’un livre témoigne de sa difficulté de lecture : il ne s’agit finalement que d’un somment de texte à escalader, et la persévérance y suffit ; une sorte d’esprit de compétition athlétique s’impose comme modèle de l’activité de déchiffrement. Celle, ensuite, de l’homogénéité de l’espace littéraire : tous les livres se valent, tous fonctionnent selon les mêmes schémas, et la lecture d’un seul permet de s’orienter ensuite dans la masse toujours grandissante des imprimés. Le problème, évidemment, c’est que la littérature ne fonctionne pas comme cela, et que les rituels de lecture sont des processus mentaux traditionnels qui s’apprennent, se transmettent, par l’éducation ou à travers les œuvres elles-mêmes, qui véhiculent en creux les méthodes d’interprétation qui permettent de les lire. En élisant les livres de J. K. Rowling, en les admettant au panthéon de la littérature, on modifie les exigences du rituel de la lecture, on les traîne vers le bas. Les livres eux-mêmes n’ont rien à voir avec ce processus : ils ont clairement été écrits (au départ du moins) comme des romans pour enfants. C’est le public, puis les éditeurs et diffuseurs, qui ont imposé ces ouvrages comme des références, et bien souvent les seules. Si Harry Potter tient la place centrale dans le canon littéraire d’un lecteur, on peut imaginer la manière dont les structures et thèmes de ce livre lui serviront à interpréter d’autres œuvres, s’il lui arrive par hasard d’en lire ; le règne de l’infantilisme littéraire gagne du terrain. Un passage de Gog de Papini, que je lis lentement pour profiter de chaque chapitre, résonne avec ce constat : il s’intitule « Pédocratie ».
(Et qu'on excuse cette réaction en retard d'au moins sept ans.)