On démolit
Vu, dans une librairie, cet ouvrage :
Publié en 2003, on ne peut l’accuser de surfer sur la vague Démolir Nisard de Chevillard ; doit-on au contraire y voir l’origine de son pamphlet ? Sans sou en poche, je n’ai pu me le procurer pour savoir si le bonhomme méritait le flot d’injures qui s’était abattu sur lui. Heureusement ( ?), on peut lire le Manifeste contre la littérature facile sur gallica, avec d’autres essais ! En préface, Nisard avoue lui-même candidement : « c’est de ma faute si mon nom ne suffit pas pour recommander ce que j’écris » et critique son petit essai, dans un geste éculé de captatio benevolentiae : « le mal que je signalais était à la fois grave et séduisant, puisqu’il avait gagné jusqu’à la main qui prétendait le guérir » — mais cela ne l’empêche pas de s’arroger le titre d’inventeur de la locution « littérature facile ». Qu’est-ce, d’ailleurs, que cette littérature facile ? Nisard est lâche (« Je ne veux nommer personne »), mais le programme qu’il expose pourrait très bien, je trouve, être repris positivement par une école littéraire nouvelle : une littérature « qui note jusqu’aux moindres bruits du cerveau, jusqu’à ces demi-pensées, sans suite, sans lien, qui s’entrecroisent, se poussent, se chassent dans la boîte osseuse ; résultats tout physique d’une surexcitation cérébrale, que les uns se donnent avec du vin, les autres avec la fumée du tabac, quelques-uns avec le bruit de leur plume courant sur le papier ; éclairs, zigzags, comètes sans queue ». Nisard, anti-Rimbaud, anti-surréaliste par anticipation… Il est fort ! Mais j’imagine que c’est le Romantisme qui est ici visé.
Nisard mêle dans son essai géo-sociologie (« Le jour où une mode a pénétré en province, vous pouvez dire qu’elle est tombée à Paris »), morale (halte à l’érotisme dans le roman !), gender studies (« Les contes de femmes sont de pâles imitations des contes d’hommes. Chaque femme prend le genre d’un homme, copie ses tournures, répète ses phrases. ») ; il n’’empêche qu’il a du mal à refreiner ses fantasmes, qui surgissent sous sa plume sur un ton évidemment critique — mais qui me fera croire que cette jeune mère qui prend son amant sur son lit et renverse du pied le berceau de son enfant dans son extase, que cette actrice qui offre ses épaules nues pour écrire un drame, que ces honnêtes femmes kidnappées qui se livrent à leurs bourreaux, ne sont pas ses idéaux féminins ?